Amos Simon Cottle (1768 ?-1800) fut le premier à proposer une traduction anglaise de l'Edda poétique – du moins de la majeure partie des poèmes mythologiques.
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C'est à la demande de l'un de ses amis, désireux d'en apprendre davantage sur la mythologie scandinave, qu'Amos Cottle, alors étudiant à Cambridge, entreprit, durant ses vacances, de traduire en prose l'Edda de Sæmund, comme l'Edda poétique était alors connue. Il suivit ensuite la suggestion de Robert Southey de produire plutôt une traduction versifiée, « in the free manner of Gray's “Descent of Odin”»C'est ainsi que parut en 1797 à Bristol, la ville natale de Cottle, Icelandic Poetry, or The Edda of Sæmund Translated into English Verse2.
L'ouvrage débute par une introduction dans laquelle se mêlent des informations pertinentes (notamment lorsque Cottle reprend les arguments exposés par Percy dans la préface de Northern Antiquities en 1770 sur les distinctions entre Celtes et Germains, ou sur la variété des croyances des anciens Germains selon les lieux et les époque ; aussi lorsqu'il présente la vie de Sæmundr fróði et l'histoire du Codex Regius) et d'autres plus douteuses, ainsi d'une description fantaisiste de la mort d'Óðinn, percé de neuf coups de lance en forme de cercle, ou d'une interpretatio graeca dans laquelle des équivalences convenues (Þórr et Hercule, Freyja et Vénus) en côtoient d'autres, plus surprenantes (Óðinn et Adonis, Loki et Apollon).
La traduction est précédée d'un poème, « To A.S. Cottle from Robert Southey » où une description des paysages du Dorset, que le poète a parcourus en compagnie de son ami Cottle, précède l'évocation des croyances des anciens Scandinaves, dépeintes comme « a strange and savage faith ».
Cottle a traduit depuis l'Edda Saemundar hinns fróda parue à Copehnague en 1787, sous l'égide de la commission arnamagnéenne. Il s'agit de la première partie d'une édition des poèmes eddiques accompagnés d'une traduction latine en regard.
Ne figurent, dans l'ouvrage de Cottle, ni les poèmes héroïques, ni des poèmes mythologiques majeurs tels que la Völuspá et les Hávamál, qui ne sont parus que plus tardivement dans cette édition (respectivement en 1818 et 1828). Cottle n'a pas pour autant fait usage de l'édition et de la traduction de ces deux derniers poèmes par Peder Hansen Resen, publiées dès 1665. N'y apparaît pas non plus le Sólarljóð, pourtant en appendice de l'édition utilisée, mais qui ne contient rien sur la mythologie nordique, le calviniste Cottle ajoutant dédaigneusement qu'« it is filled with little else but the absurd superstitions of the Church of Rome ».
Les poèmes sont accompagnés de notes qui apportent un éclairage le plus souvent emprunté à l'Edda de Snorro (sic).
C'est la traduction latine qui a servi de base à la traduction de Cottle. Ainsi que l'a relevé, parmi d'autres, William Herbert, qui traduisit un peu plus tard des poèmes norrois depuis la langue originale (Select Icelandic Poetry, 1804 et 1806), « translations made […] by a person quite unacquainted with the Icelandic language through the medium of a Latin prose version, cannot be expected to represent the style and spirit of the originals »3.
Quant au style, Cottle se soucie peu d'imiter les allitérations et les rimes internes des vers eddiques. Il conserve toutefois le caractère poétique de l'œuvre, puisqu'il produit une traduction versifiée, en octosyllabes. Il s'éloigne aussi de la concision et de la rapidité des vers eddiques, qu'il allonge, amplifie, au point de faire d'un vers un distique, en introduisant des périphrases, en ajoutant des descriptions, en intégrant des informations complémentaires. Ce faisant, Carolyne Larrington juge cependant que « Cottle often achieves a romantic grandeur in his versions of the poems »4.
La comparaison d'une traduction très littérale de la strophe 16 du Song of Vafthrudnis (sic) avec celle de Cottle permet d'illustrer sa manière :
La traduction de Cottle a été sévèrement critiqué. Ainsi, William Herbert jugea que « Mr. Cottle has taken such liberties with the Icelandic poetry and mythology, which in some places he has purposely amplified, and in others misunderstood, that, if he had published his work as original, he could scarcely have been accused of plagiarism »5.
C'est ainsi que, pour ne citer que l'erreur la plus flagrante, dans sa traduction de la Þrymskviða (str. 13), Freyja accepte de se rendre au Jötunheimr, alors qu'elle refuse en réalité avec indignation.
Cottle refuse aussi de traduire un échange de la Lokasenna (str. 33-34) jugé inapproprié, celui où Loki rappelle à Njörðr que « les filles de Hymir t'ont utilisé comme pot de chambre et t'ont pissé dans la bouche » : « the sentiments and expressions of this and the following verse would not admit with propriety of an English version ».
La recherche actuelle se montre toutefois plus indulgente à l'égard du travail de Cottle que ses contemporains. Heather O'Donoghue juge ainsi que les poèmes « are perfectly serviceably translated, with relatively few inaccuracies »6.
L'influence de la traduction de Cottle est difficile à évaluer. Un peu plus d'un siècle après sa parution, Frank Edgar Farley relevait que « since Cottle's Icelandic Poetry was the first English translation of the only volume of the Copenhagen Edda that had then appeared, it naturally became well known to everybody who had any interest in Norse mythology […] and it was for many years invariably cited by English writers on Scandinavian subjects »7. Carolyne Larrington a cependant estimé que « Cottle's Edda […] does not seem to have been widely circulated »8, se fondant notamment sur les propos de Benjamin Thorpe qui, dans la préface de sa propre traduction de l'Edda poétique, en 1866, indiquait n'avoir pas eu connaissance de la traduction de Cottle – ni d'aucune autre9.
Amos est le frère aîné de Joseph Cottle (1770-1853), libraire, éditeur, mais aussi auteur, notamment, du poème épique Alfred (1800), mettant en scène la lutte du roi anglo-saxon contre les envahisseurs danois10.