Le lion du Pirée est une statue antique, originaire d'Athènes, aujourd'hui à Venise, qui porte des inscriptions runiques, sans doute gravées par des varègues au XIe siècle.
Cette statue en marbre pentélique, haute de près de 3,8 mètres, représente un lion assis sur ses pattes arrière. De style classique, elle a été datée du IVe siècle avant Jésus-Christ. Peut-être s'agissait-il d'un monument commémoratif.
Plan du Port Pirée ou Port Lyon de la ville d'Athènes, 1771.
Bibliothèque nationale de France, Paris.Elle était située dans le port du Pirée, d'ailleurs nommé Port Lion, dans les documents français de l'époque moderne1.
L'amiral et futur doge Francesco Morosini en fit une prise de guerre après s'être emparé du Pirée, alors tenu par les Ottomans, en 1687, et la fit amener à Venise, dont le lion, symbole de saint Marc, constitue l'emblème.
Quelques années plus tard, elle fut placée à son emplacement actuel, devant l'arsenal, à gauche lorsque l'on fait face à l'entrée. De l'autre côté se trouve un lion couché, de même provenance.
Bien que le lion ait été décrit par plusieurs voyageurs – Goethe, en particulier, qui consacra aux lions de l'arsenal l'une de ses épigrammes vénitiennes (1790)2, les inscriptions n'ont été remarquées que tardivement par le diplomate et orientaliste suédois Johan David Åkerblad, qui, à la fin du XVIIIe siècle, identifia les caractères comme des runes. Il rendit compte de sa découverte en 18003.
Les flancs du lion et sa patte gauche portent en effet des traces de runes, inscrites dans des rubans à tête de serpent. Gravées sur une pierre poreuses, elles ont toutefois été fort endommagées par les projectiles reçus durant le siège d'Athènes et le transport jusqu'à Venise, les intempéries, et, aujourd'hui, la pollution.
La découverte d'Åkerblad suscita l'intérêt de nombreux chercheurs, parmi lesquels Wilhelm Grimm, qui, constatant que « la plus grande partie des runes est érodée et illisible », parvint, après Martin-Frédéric Arendt et Friedrich Heinrich von der Hagen, à la conclusion que « tout espoir est vain d'émettre davantage que des suppositions sur quelques mots »4.
Cela n'empêcha pas de nombreux chercheurs de proposer des traductions. Le premier fut Carl Christian Rafn5. Selon lui, l'inscription évoquerait une bande de varègues, mercenaires scandinaves au service de l'empereur byzantin, qui auraient conquis le port du Pirée, sous la conduite du futur roi de Norvège Harald Hardråde. Toutefois, son interprétation « se fonde sur l'imagination et pas sur la réalité », selon Sophus Bugge6.
Inauguration du Historiska Museum en 1943, en présence du roi Gustav V.
Photographie : BM Bild AB, 17 avril 1943, ATA.De nombreux autres chercheurs proposèrent par la suite des traductions, parmi lesquels Karl Hjalmar Kempff7, Fredrik Sander8, à qui l'on doit également, en 1895, la copie en gypse du lion qui se trouve dans l'entrée du Historiska museum de Stockholm9,10, ou Erik Brate11.
Selon ce dernier, l'inscription serait l'œuvre de Suédois originaires du Roslagen et commémorerait l'un de leurs compagnons ou leur chef mort au combat, un dénommé Horse, un « bon bóndi (fermier) » qui « gagna de l'or dans ses voyages ».
Tous sont qualifiés par Sven B. F. Jansson de « pleins d'imagination mais dépourvus de sens critique ». Seuls quelques mots peuvent en effet, selon lui, être reconnus avec certitude, notamment þair, « ils », trikir (drængiaR), « jeunes hommes, « guerriers », et sans doute (i ha)fn þisi, « dans ce port ». Quelques runes isolées peuvent également être identifiées12.
En conséquence, toute tentative de traduction semble ne pouvoir être que conjecturale, comme l'atteste l'extrême diversité des propositions faites au fil du temps, ce que Johannes Brøndsted regrettait en ces termes : « il aurait été intéressant de savoir ce qu'un viking suédois avait souhaité confier à un lion grec »13.
Cependant, suite à la restauration de la statue en 2007-2008, Thorgunn Snædal s'est livré à de nouveaux examens de la statue. Distinguant trois inscriptions, datées de différentes périodes du XIe siècle, elle a proposé la traduction suivante14 :
Sur le flanc gauche : … ils ont taillé (les runes), les hommes de la troupe … et dans ce port, ces hommes ont taillé les runes à la mémoire du bóndi Horse … Les Svear ont élaboré cela sur le lion. (Il) est mort avant de pouvoir recevoir un tribut.
Sur la patte gauche : les jeunes hommes/guerriers (« drængiaR ») ont gravé les runes
Sur le flanc droit : Åsmund a gravé … ces runes, ils Eskil/Askel … … Torlev (?) et …
Si les opinions divergent quant à l'interprétation éventuelle de l'inscription, la datation du XIe siècle fait en revanche l'objet d'un consensus. L'examen de l'ornementation – le ruban à tête de serpent – et de la forme des runes sur le flanc droit du lion avait déjà conduit Sophus Bugge à dater les inscriptions du milieu du XIe siècle ou un peu plus tard15.
L'origine suédoise est de même établie – du reste, les inscriptions runiques fleurissaient en Suède au cours du XIe siècle. Bugge estimait plus précisément que le graveur était originaire du Svealand, et très probablement de l'Uppland16.
Le flanc droit du lion du Pirée en 1913 (Erik Brate) et en 2012.Enfin, depuis von der Hagen, l'inscription est le plus souvent attribuée à des varègues. Athènes constituait, en effet, un lieu de fréquent passage des troupes, qu'il s'agisse de combattre les Bulgares dans les Balkans, les Arabes en Méditerranée, les Arabes puis les Normands en Sicile et dans le Sud de l'Italie. Pour autant, l'hypothèse selon laquelle elle serait l'œuvre de commerçants ne peut-être écartée17.
Sources
- Jansson, Sven B.F. Pireuslejonets runor. Nordisk tidskrift för vetenskap, konst och industri. 60, 1984. P. 20-32.
- Kreutzer, Gert. Der Runenlöwe von Piräus. In : Analecta Septentrionalia : Beiträge zu nordgermanischen Kultur- und Literaturgeschichte. Ed. par Wilhelm Heizmann, Klaus Böldl, Heinrich Beck. Berlin ; New York : Walter de Gruyter, 2009. P. 717-729.
- Snædal, Thorgunn. Runinskrifterna på Pireuslejonet i Venedig. Stockholm : Riksantikvarieämbetet, 2014.