Sleipnir est le cheval à huit jambes d'Óðinn. Fils de Loki et d'un étalon, selon une tradition tardive, il a notamment la faculté de voyager vers l'autre monde.

Werenskiold, Odin sur SleipnerDagfin Werenskiold, Odin sur Sleipnir (années 1940-1950).
Frise en bois dans la cour de l'Hôtel de Ville d'Oslo.
Sleipnir apparaît peu en poésie scaldique. Il figure dans dans des kenningar dans l'Ynglingatal de Þjóðólfr ór Hvini (str. 8 et 12), la Húsdrápa d'Úlfr Uggason (str. 11) et, plus récemment, chez Hofgarða-Refr (Ferðavísur, str. 3) et Þormóðr Kolbrúnarskáld (Þorgeirsdrápa, str. 2). 

Dans ces différents poèmes, Sleipnir est employé comme subsitut poétique pour le cheval en général : dans la Húsdrápa, par exemple, le navire est désigné comme le « Sleipnir de la mer » (« haf-Sleipnir »), une variante de la kenning traditionnelle « cheval de la mer ».

Les représentations de Sleipnir comme monture d'Óðinn sont relativement récentes.

Sleipnir est décrit comme « le meilleur des chevaux » dans les Grímnismál (str. 44). Snorri le confirme dans la Gylfaginning (ch. 15) : des chevaux des Ases, « Sleipnir est le meilleur ; il appartient à Óðinn ; il a huit jambes ».

Dans le Hyndluljóð (str. 40), il est indiqué que Loki « engendra Sleipnir avec Svaðilfari ». Cette allusion est éclairée par Snorri dans la Gylfaginning (ch. 42). Svaðilfari est l'étalon du géant qui s'était proposé de construire l'enceinte d'Ásgarðr, demandant en paiement Freyja, ainsi que le soleil et la lune, s'il y parvenait dans le délai imparti. Svaðilfari possédait une force prodigieuse, et les travaux avancèrent très vite. Pour empêcher le géant de toucher son salaire, Loki se transforma en jument, et parvint à distraire l'étalon. « Quelque temps après, il mit bas un poulain. Il était gris et avait huit jambes, et c'est le meilleur des chevaux chez les dieux et les hommes ». Ce récit, qui emprunte un motif folkorique, est peut-être l'œuvre de Snorri.

Óðinn et Sleipnir sur la pierre de TjängvideÓðinn chevauchant Sleipnir (?) sur la pierre de Tjängvide (Gotland).
Stockholm, Historiska museet.
Ce sont les quatre paires de jambes qui ont conduit à identifier à Sleiplnir les chevaux représentées sur plusieurs pierres historiées de Gotland, datant du début de la période viking. Celle de Tjängvide montre par exemple un cavalier accueilli par une figure féminine tenant une corne, une scène souvent interprétée comme la réception d'Óðinn à la Valhöll par une valkyrie. D'autres scènes comparables ne montrent toutefois qu'un cheval à quatre jambes.

Cette profusion de jambes était peut-être destinée à donner une impression de vitesse. La vitesse est, du reste, l'une des caractéristiques de Sleipnir, comme l'indique son nom même. Construit sur l'adjectif « sleipr » (« glissant »), il peut se traduire par « Celui qui glisse vite ».

Il est possible que les huit jambes – qui, en dehors de Snorrin n'apparaissent que dans l'une des énigmes de Gestumblindi (Hervarar saga, ch. 10) – proviennent de ces représentations iconographiques.

Sleipnir est non seulement rapide, mais il peut aussi galoper par les airs et sur la mer, ainsi que l'indiquent les Skáldskaparmál (ch. 17). Là, Óðinn met au défi Hrungnir de trouver un meilleur cheval que Sleipnir aux Jötunheimar, provoquant la colère du géant, qui se lance à sa poursuite, monté sur Gullfaxi (et ne parvient pas à le rattrapper avant d'être arrivé à Ásgarðr).

Cette faculté est confirmée par un épisode de la Gesta Danorum (I, 23) dans lequel Hadingus est secouru par un homme « âgé et borgne » qui le prend sur son cheval. Hadingus voit alors la mer défiler sous les sabots de l'animal.

Hermóðr chevauchant Sleipnir, manuscrit SÁM 66Hermóðr se présente devant Hel, chevauchant Sleipnir.
Illustration du manuscrit islandais SÁM 66 (1765-1766).
Reykjavík, Stofnun Árna Magnússonar.
Dans les Baldrs draumar (str. 2), Óðinn chevauche Sleipnir pour se rendre à Hel, où il réveille une voyante morte afin d'apprendre le destin de Baldr. Sleipnir sert aussi de coursier au voyage vers l'au-delà entrepris par Hermóðr pour tenter de délivrer (Gylfaginning, ch. 49). Là, Sleipnir franchit d'un bond les grilles de Hel (« Helgrindr ») – de même que Grani, réputé être son descendant (Völsunga saga, ch. 13), franchit la muraille de flammes entourant la demeure de Brynhildr.

Sleipnir est gris, la couleur des animaux de l'autre monde (voir, par exemple, le cheval gris que monte la femme qui apparaît en rêves à Gísli dans la Gísla saga, ch. 30), et ses voyages au séjour des morts confirment que le cheval est l' « animal funéraire et psychopompe par excellence » (Eliade) – ce qu'illustrent aussi les chevaux sacrifiés retrouvés dans des tombes.

Au regard de cette dimension, les huit jambes du cheval pourraient refléter l'image de la bière d'un défunt soutenue, lors d'une procession funéraire, par quatre porteurs.

En tant que véhicule vers le monde des morts, Sleipnir a été rapproché du cheval que monte symboliquement le chaman dans ses voyages mystiques, le cheval octopode étant même, selon Eliade, « typiquement chamanique ».