Les Vikings (The Vikings), film sorti en 1958, met en scène, sur fond d'expéditions en Angleterre, la rivalité de deux frères pour la conquête d'une princesse.

C'est Kirk Douglas, qui venait de fonder sa société de production, qui a eu l'idée d'un film sur les vikings. Il acheta les droits de The Viking, roman d'Edison Marshall paru en 1951, et confia la réalisation du film à Richard Fleischer.

Le film s'ouvre sur une scène de pillage en Angleterre. Ragnar (Ernest Borgnine), le chef des vikings, tue le roi de Northumbrie et viole sa femme. Aella devient roi, tandis que la reine donne naissance à un enfant, qui est envoyé en Italie pour le protéger. Mais le bateau qui le transportait est attaqué, et l'enfant enlevé par des vikings.

Nommé Erik (Tony Curtis), il est devenu esclave dans le village de Ragnar. Pris à partie par le fils de Ragnar, Einar (Kirk Douglas), il lâche sur lui son faucon, qui l'éborgne. Erik échappe à la mort, mais le conflit prend de l'ampleur lorsque les deux frères se disputent l'amour de Morgana (Janet Leigh), une princesse galloise promise à Aella, que les vikings ont enlevée.

L'authenticité du film est revendiquée. Kirk Douglas a raconté : « J'ai employé des experts de Norvège, de Suède et du Danemark pour me donner une idée exacte de la période des vikings, les dimensions exactes des bateaux qu'ils utilisaient, comment les maisons et la halle à hydromel étaient construits, etc.1». Mais il ajoute : « Les experts n'étaient pas d'accord entre eux, et finalement j'ai dû prendre les décisions moi-même ». Et Richard Fleischer d'insister : « Kirk Douglas […] et moi avons décidé […] d'en faire le film le plus authentique sur les vikings qui ait jamais été fait, ou qui puisse être fait. Ce film devait être exact dans les moindres détails2».

S'il est vrai qu'il marque des progrès par rapport aux productions précédentes – dans Prince Vaillant, sorti quelques années plus tôt (1954), les vikings sont représentés avec des casques à cornes, le film est cependant loin d'être « exact dans le moindre détail ».

Il montre ainsi, en décor naturel – le Hardangerfjord, en Norvège, des bateaux construits d'après les plans de ceux conservés au musée des bateaux vikings d'Oslo, et animés par des rameurs recrutés en Scandinavie. Mais, dans le même temps, les vikings sont paradoxalement présentés comme de piètres navigateurs, incapables de se repérer dès lors que le soleil ou les étoiles ne sont pas visibles, jusqu'à ce qu'une boussole fasse une apparition anachronique par l'intermédiaire d'un esclave africain.

Le film évoque rapidement les croyances des vikings. Une völva – bien qu'elle ne soit pas qualifiée ainsi – prédit l'avenir en lisant les runes, une pratique qui n'est pas attestée. Les vikings sont dépeints comme païens – Morgana présente à Erik la différence de religion comme un obstacle à leur amour, mais ils apparaissent monothéistes : hormis une référence au marteau de Thor, ils passent leur temps à invoquer le seul Odin. Il n'est du reste pas certain que cette représentation soit totalement erronée3. Le film se clôt sur des funérailles vikings, représentées de façon conventionnelle, avec le corps placé sur un bateau auquel il est mis feu tandis qu'il dérive vers le large. Il s'agit d'une pratique attestée4, bien que beaucoup plus rarement que sa récurrence dans les œuvres de fiction pourrait le laisser penser.

Kirk Douglas et Tony Curtis dans Les Vikings (1958)Il pourrait exister une autre référence mythologique, mais tout à fait implicite. Einar devient borgne, tandis qu'Eric devient manchot : Aella lui tranche la main droite après qu'il a permis à Ragnar de mourir l'épée à la main, pour qu'il puisse gagner le Valhalla. L'association du borgne et du manchot évoque naturellement Odin et Tyr.

Quant à l'arrière-plan historique, le film évoque les expéditions vikings en Angleterre, bien connues, notamment, grâce au témoignage de la Chronique anglo-saxonne. Mais à travers les personnage d'Aella, de Ragnar et de ses fils, la référence directe est à des œuvres de fiction : la Ragnars saga loðbrókar et le Þáttr af Ragnars sonum, même si seuls quelques éléments leur ont été empruntés. C'est ainsi que Ragnar est mis à mort par Aella, dans une fosse aux loups (elle est remplie de serpents dans la saga), et qu'il est ensuite vengé : dans le film, il est précipité par Erik dans la fosse, tandis que, dans la saga, il subit le supplice de l'aigle de sang – une mise à mort qui n'aurait certainement pas recueilli l'assentiment de la censure américaine5.

S'agissant de la représentation d'ensemble des vikings, elle est très stéréotypée. Dès l'introduction du film – un commentaire lu par Orson Welles sur fond d'images animées inspirées de la tapisserie de Bayeux, les vikings, adorateurs d'un dieu guerrier qu'ils rêvent de rejoindre au Valhalla, sont réputés « répandre un règne de terreur, d'une violence et d'une brutalité jusque là jamais égalée dans l'histoire ». Et la suite du film le démontre : les vikings sont non seulement des ivrognes – d'immenses cuves à bière sont utilisées lors des banquets, mais aussi des pillards sanguinaires et des êtres lubriques portés au viol – Ragnar et la reine, Einar qui menace de faire subir le même sort à Morgana. Leurs coutumes sont barbares, ainsi de l'ordalie à laquelle est soumise une jeune femme accusée d'adultère – qui n'a d'ailleurs rien d'historique, comme Richard Fleischer en a lui-même convenu6. Pour caricaturale qu'elle soit, cette représentation des vikings correspond en grande partie à la vision prédominante à l'époque, y compris dans la recherche, avant que le courant révisionniste, à la suite de Peter Sawyer, ne mette davantage l'accent sur leurs activités pacifiques.

Le film a donné naissance à une série de 39 épisodes (1959-1960), Tales of the Vikings, produite par Kirk Douglas. Le film italien La Ruée des Vikings (Gli invasori) de Mario Brava (1961) s'en est inspiré.


1 Douglas, Kirk. The Ragman's son : an autobiography. London : Pocket 1989. P. 258.
2 A Tale of Norway, documentaire figurant dans l'édition du film en DVD.
3 Voir, par exemple : Gunnell, Terry. Pantheon ? What Pantheon ? Concepts of a Family of Gods in Pre-Christian Scandinavian Religions. Scripta Islandica, 66 (2015). P. 55–76.
4 Les funérailles du roi Háki dans l'Ynglinga saga (ch. 22) sont ainsi décrites de cette façon.
5 La censure est l'un des thèmes évoqués dans : Coyne Kelly, Kathleen. The Trope of the Scopic in The Vikings (1958). In : The Vikings on Film : Essays on Depictions of the Nordic Middle Ages. Ed. by Kevin J. Harty. Jefferson, North Carolina ; London : McFarland, 2010. P. 9-23.
6 A Tale of Norway.